Objectif : dénivelé 6500 !
Le parcours prévu est le suivant : départ de Luz St Sauveur pour le Tourmalet puis la Hourquette d’Ancizan, les lacs d’Aubert et d’Aumar et au retour le col d’Azet, puis Aspin et Tourmalet pour finir. Les années précédentes je ne faisais pas le col d’Azet, trouvant le reste suffisant, mais, la retraite favorisant l’entraînement, ce petit crochet supplémentaire ajoutant plus de 800m de dénivelé me tentait beaucoup. Je l’ai rêvé pendant toute une année ; maintenant il s’agit de le faire après m’être aussi bien préparé que possible, loin des montagnes mais sur des côtes à 11% de moyenne pour 90 m de dénivelé, inlassablement répétées jusqu’à plus de 40 fois certaines journées. Début juillet 2006 j’ai même fait 5000m dans la journée en grimpant 3 côtes 20 fois chacune.
La méthode est efficace pour préparer aux longues ascensions en montagne quand on ne recherche pas la vitesse mais l’endurance. En 2006 j’ai ainsi fait 475km de dénivelé dans l’année, soit 1300 mètres de moyenne par jour, dont 29 km en 10 jours dans les Pyrénées y compris une journée de repos et les jours de départ et de retour. Arrivé le 8 juillet 2006 au camping de Luz je me teste le lendemain sur plus de 4000 m en enchaînant Tourmalet et Aspin des 2 côtés. Avec un tel entraînement ce n’est pas un problème. Tout va bien. Un jour de repos et de préparation où je grimpe seulement une fois Luz-Ardiden. Le grand jour sera pour le mardi 11 juillet, le Tour de France passant à Luz le 13 pour monter le Tourmalet. Une intuition me dit que c’est ce jour ou jamais.
Animaux en liberté dans les cols
Ce 11 juillet donc je quitte le camping à 6h10 avec un feu rouge allumé car la route sera sombre à la sortie de Luz. Le soleil se couche plus tôt et se lève beaucoup plus tard en montagne qu’en plaine et on peut se faire piéger. La dernière limite pour le retour : 22h15 pour voir encore la route et avec des feux de position. Je fais cette première montée prudemment car le corps n’est pas prêt et il vaut mieux le laisser se mettre en route progressivement que de le brutaliser, surtout quand on n’est plus tout à fait jeune, je pourrais le payer toute la journée. Ainsi, la montée sera facile et agréable sous la bienveillante surveillance du Pic du Midi de Bigorre avec son observatoire. Elle est jalonnée par de très nombreux camping-cars annonciateurs du passage du Tour dans 2 jours. Les places sont chères, très chères et certains sont sans doute déjà là depuis une semaine avec leurs occupants. Au moins je ne serai pas seul dans la descente tardive de ce soir.
Au
sommet, un troupeau de lamas
qui fait la surprise des touristes ! Oui, il n’y a pas que des moutons, des
vaches et des cyclistes en liberté dans les cols pyrénéens ! Avec les lamas du
Tourmalet qui posent pour le photographe ,
il y aura les ânes de la Hourquette d’Ancizan. Du saucisson d’âne est
d’ailleurs en vente dans une boutique de Luz. J’ai aussi vu des chevaux au
niveau de La Mongie, des chèvres au sommet d’Aspin, sans parler des
nombreuses marmottes qui se prélassent à Luz-Ardiden. J’en ai vu cinq
simultanément : une était étalée, presque aplatie, sur un rebord en ciment, les
4 membres étendue sur les côtés ; une autre dans la même position au milieu de
la route et qui bougea à peine à mon passage. Il y a quelques années, dans la
descente du Tourmalet, tôt le matin, une marmotte avait jailli devant moi pour
traverser la route quelques mètres devant un autre cycliste qui montait…On
s’est regardé !
*Sur le site www.allersretours.com on peut trouver de superbes photos prises depuis les routes des cols pyrénéens par le cavalier de Jolly Jumper, son scooter, qui l’a mené jusqu’en Lituanie... On pourra y trouver en particulier d’étonnantes photos des lamas du Tourmalet. Sur http://www.parlonsphoto.com/ on pourra trouver en particulier de très belles photos de marmottes des Pyrénées.
Après un arrêt assez long à Ste Marie de Campan je m’engage sur la route du col d’Aspin qui est aussi celle de la Hourquette, col sur la même ligne de crête qu’Aspin, 50m plus haut, à quelques kilomètres de col à col. A pied on peut aller de l’un à l’autre. J’avais suivi cet itinéraire avec mes enfants encore très jeunes pour aller voir passer le Tour à Aspin après avoir laissé la voiture à la hourquette, évitant ainsi les embouteillages monstres du Tour sans avoir à marcher davantage. C’était l’année où Hinault aurait pu gagner le Tour mais avait dû le laisser à son équipier Lemon qui aurait pu le gagner l’année précédente mais avait dû le laisser à Hinault selon un accord arbitré par Bernard Tapie…
Quelques kilomètres de plat avec piste cyclable jusqu’à St Lary puis commence une montée irrégulière jusqu’à Fabian que j’atteins quand midi sonne. Juste au pied de la montée aux lacs de Cap de Long, Orédon, Aubert et Aumar, on peut aussi s’approvisionner en eau dans une toilette publique. Ce sera important au retour pour avoir le précieux liquide pour Azet et Aspin.
La montée est superbe avec des lacets aux noms évocateurs comme le lacet des écureuils ou des edelweiss ou celui des myrtilles. Elle est très peu fréquentée par les cyclistes car le Tour de France n’y a pas inscrit sa légende. Pourtant la pente n’a rien à envier à celle des grands cols et le terminus, à 2200 m d’altitude, est plus haut que le Tourmalet. Après 10 km de montée et le passage dans des lacets fortifiés évoquant un château fort, on peut choisir de poursuivre sur Cap de Long et son barrage ou de redescendre sur le magnifique lac d’Orédon pour remonter ensuite pendant 5km jusqu’aux lacs d’Aubert et d’Aumar sur une route désormais interdite aux voitures et au milieu des pins à crochet qui donnent, sous le soleil, une ambiance quasi méditerranéenne.
Seul cycliste parmi quelques rares marcheurs au pied du Néouvielle, je m’alimente et m’accorde quelques minutes de contemplation puis, ne pouvant m’attarder davantage, je m’engage dans la descente. Après Orédon il y aura 50 mètres de dénivelé à remonter par une pente particulièrement raide, ce qui n’est jamais facile après cette rupture de rythme. A Fabian, bref arrêt pour faire le plein pour tenir jusqu’à Ste Marie de Campan soit 1600m de dénivelé. La consommation en eau d’un cycliste en montagne est assez impressionnante.
Azet ou pas Azet ?
Si les premiers kilomètres du col d’Azet sont faciles, trop faciles, on passe à 10% sur de longues portions récemment recouvertes de gravillons qui se coincent à de multiples reprises entre la fourche et la roue avant, m’empêchant d’avancer. Au moins une bonne dizaine de fois je vais être obligé de mettre pied à terre pour dégager un gravillon. Plusieurs fois même, je devrais enlever la roue avant pour y parvenir. J’espère seulement que ce ne sera pas ainsi jusqu’en haut. En 2004 j’avais dû faire 2 km à pied dans la hourquette que la DDE empierrait et goudronnait. Impossible de passer sur le vélo. Puis j’avais dû consacrer un long moment à nettoyer les pneus avec de l’herbe car le moindre gravillon collait aux pneus.
Après la traversée du village d’Azet il n’y a plus de gravillons et la pente est plutôt moins forte. A plusieurs kilomètres du sommet une femme, qui pourrait être martiniquaise, monte à pied en chaussures de ville avec une valise et un sac ! Où va-t-elle ainsi ? Rien avant Loudenvielle à des kilomètres ? Si je ne suis pas arrivé, elle non plus ! Dans les années soixante, sur un sentier de moyenne montagne conduisant au lac bleu à l’ouest du pic du midi, j’avais vu 2 femmes tentant de traverser un torrent avec des valises !!!
J’entends quelques coups de tonnerre au loin, côté espagnol. Pourvu qu’il n’y ait pas d’orage. C’est un des risques de la montagne à cette saison. Les derniers kilomètres se feront dans un brouillard de plus en plus épais et il le deviendra franchement au début de la descente. Au carrefour avec la route de Peyresourde j’arrive en même temps qu’un cycliste qui descend de ce col. C’est le second de la journée, je n’en verrai pas d’autres. La montée d’Aspin se fera dans un brouillard assez conséquent mais qui a au moins 2 avantages : pas de vent, pas de chaleur.
Une équipe télé au col d’Aspin !
En sortant du dernier virage avant le col d’Aspin, je vois une équipe de télévision avec 2 caméras et 2 micros-perche. Les journalistes et techniciens sont encore à côté de leurs véhicules de France 3. Que font-ils là à cette heure, il est presque 18h30 et dans ces conditions de brouillard épais ? Ils m’attendaient, sûrement ! La preuve : en me voyant, un caméraman me filme jusqu’à mon arrêt sous la pancarte du col ! Le col, il est couvert de camping-cars plus serrés que des sardines dans une boite. Impossible à ceux du fond de repartir indépendamment des autres, ils sont bloqués. Ils sont là depuis des jours pour le Tour de France et l’équipe télé est là pour faire un reportage sur ces vacanciers qui suivent le Tour en famille et en occupant toutes les places disponibles le long des ascensions les plus mythiques.
Avant de repartir et après m’être couvert au mieux, je bois une gorgé à mon bidon ; un fan de vélo et de camping-car en profite pour m’interpeller : « Allez, un p’tit coup d’EPO ! ». Je lui rétorque que l’EPO ça s’injecte, que je suis bien placé pour le savoir puisque je me suis fait une piqûre ce matin et qu’à 400 euros la dose je n’ai plus d’argent pour mettre de l’essence dans ma voiture, alors je roule en vélo ! Le journaliste qui m’a filmé s’approche, amusé par l’échange, et qui va saisir l’occasion pour entrer en contact avec la population du col. Une femme pense que je m’arrête ici : "avec ce brouillard vous n’allez pas faire la descente !" Si je restais là je serais mort de froid avant demain matin à moins quelle ne m’accueille dans son camping-car avec de l’eau chaude pour enlever la sueur du thorax et des couvertures pour la nuit ! Et j’ai encore le Tourmalet à monter et à descendre ! Elle n’en croit pas ses oreilles, et encore elle ne sait pas vraiment ce que j’ai fait avant. Le reportage passera quelques jours plus tard sur France 3 à l’émission du matin sur le Tour mais je ne l’ai pas vu. Il a fort bien pu débuter par une image furtive d’un cycliste arrivant au col d’Aspin en plein brouillard...
Je vais quitter Ste Marie à 19 h non sans avoir tenté de téléphoner à la famille pour donner ma position, mais c’était occupé. J’ai hâte de savoir comment mon corps va réagir en repartant à l’assaut du Tourmalet. Je sens qu’il y a encore de l’énergie ; je ne suis pas trop inquiet pour cette ultime montée de 1250m de dénivelé et aux pourcentages redoutables. Le brouillard toujours, mais vers La Mongie je passe au dessus et le ciel bleu est maintenant visible. Agréable surprise pour les derniers kilomètres d’ascension. Au sommet, toujours les camping-cars mais pas d’équipe de télé...Le plus dur est fait à n’en pas douter, reste le plus pénible, la dernière descente dans ces conditions : la dépense calorique a été très importante, mon cardio indique 5750 kilocalories, le corps est en sueur et les vêtements en sont imprégnés, l’heure est tardive, je quitte le sommet à 21h pile, et je vais retrouver le brouillard au bout de 500 m de descente. Un brouillard épais, je n’y vois qu’à 10, 15 mètres, il me faut descendre très lentement. Je sais que sur 7 km il peut y avoir sur la route des pierres descendues de la pente par les moutons qui pâturent. La DDE passe tous les matins pour nettoyer mais nous sommes le soir et si je heurte une de ces pierres je peux me retrouver allongé sur la route pour toute la nuit et là...c’est la catastrophe quasi assurée. Avec ce froid et ma faiblesse calorique mon corps servira de petit-déjeuner aux gypaêdres (rapaces des Pyrénées)...C’est à peine une plaisanterie, la prudence absolue s’impose. Cependant je ne suis pas seul, je croise quelques fans du Tour de France qui font une petite promenade avant d’aller se coucher. Je les distingue à peine. Je rejoins un camping-car qui descend très lentement. Il cherche une place et n’en trouve point. Lui qui se croyait en avance 2 jours avant le Tour ! Non, le tarif c’est 8 jours ! Au moins il m’éclaire la route mais je ne dispose que de peu de temps car si je la distingue encore, quand la nuit sera tombée je n’y verrai plus rien et ce n’est pas mon éclairage de position qui pourra me guider. Il s’arrête au pont de la Gaubie. Plus loin une famille mange sous une avancée de toile et sont stupéfaits de voir passer un cycliste, eux qui ne sont pourtant là que pour eux !
Je quitte la route de haute montagne pour une route plus large et mieux sécurisée où je peux descendre plus vite. La traversée de Barèges me réconforte, je sais qu’il ne reste plus que 7 km de descente plutôt facile mais tout mon corps tremble de froid et l’agitation frileuse de mes bras gêne le freinage. J’ai hâte d’arriver mais je ne dois prendre aucun risque, aucun. La chute est rigoureusement interdite. Reste encore une grande plongée sombre au milieu des arbres, avec une forte pente où le vélo s’emballe. Je m’en méfie. Puis j’aperçois les premières lumières de Luz ...Je les perçois comme le navigateur solitaire voyant le phare annonciateur du port. Je suis complètement gelé. Ah si seulement les routes montaient toujours !
Contrairement aux autres jours, pas un seul campeur n’est visible. Ils se sont tous calfeutrés dans leurs camping-cars qui sont largement majoritaires. Personne ne m’a vu partir, personne ne m’aura vu arriver. Le camping est dans la ouate et le brouillard forme des halos autour des lampadaires, créant une ambiance surréaliste renforçant pour moi l’impression que ce que je viens de faire et de vivre je l’ai plus rêvé que vécu.
Mon premier geste : téléphoner à la famille pour annoncer mon arrivée, comme convenu. Elle pensait que j’avais renoncé à téléphoner en raison de l’occupation prolongée de la ligne...En cas de chute là-haut sur une pierre j’aurais pu attendre longtemps ! Une nuée de rapaces affamés...Mon second geste : la douche ! Mon troisième : des projets ! J’aurais volontiers troqué cette dernière descente pour 500m de montée supplémentaire. J’envisage de tenter 7000 l’an prochain mais sur un itinéraire plus dense en montées. Il y a trop de pertes autour de St Lary et de Loudenvielle et il faudra partir plus tôt... avec une bombe anti-gypaêdre !