Les trois secrets du vélo
Aucun sport autre que le cyclisme propose des compétitions
aussi longues et répétées, les coureurs enchaînant les classiques d’un jour,
Paris Nice et les différents Tours, qu’ils fassent 20 ou 4 jours. Comparé aux
autres sports le nombre de jours et d’heures de compétition d’un coureur
cycliste est absolument énorme. Et ceux qu’on nomme pudiquement les
cyclotouristes font aussi des épreuves de très longues durées comme Paris Brest
Paris, plus de 1200 kilomètres en continu de jour comme de nuit. Comment cela
est-il possible ? Ces cyclistes seraient-ils des surhommes ?
Non ! Mais le vélo est un engin extraordinaire qui décuple le potentiel
physique de celui qui a appris à l’utiliser, pourvu qu’il soit non seulement
léger mais aussi avec de très bons roulements ce qui est beaucoup plus
important, détail que le néophyte oublie trop souvent.
Assis sur son vélo, qui doit être
à sa taille, le cycliste a trois appuis qui vont correspondre aux trois secrets
que je vais tenter de décrypter pour ceux qui n’en auraient pas encore pris
conscience.
Cela n’a l’air de rien mais c’est
absolument fondamental : contrairement au coureur à pied, au marcheur, au
footballeur ou au basketteur le cycliste est assis, ce qui entraîne une
économie considérable d’énergie. Chacun en fait l’expérience tous les jours
quand il souhaite pouvoir s’asseoir pour se reposer. Pour se déplacer il faudra
alors se lever et quand on est fatigué on hésite…Observez les vieillards assis
dans leur fauteuil et qui demandent qu’on leur apporte à boire pour ne pas avoir
à se lever. Avec un cardio l’expérience est facile à faire en observant les
variations de la fréquence cardiaque entre la position assise et debout.
Toute cette énergie ainsi économisée
va pouvoir être disponible pour un usage dynamique. C’est le premier secret. La
posture assise existe aussi en aviron mais là l’effort est au contraire très
bref, quelques minutes en compétition, car il s’exerce avec les bras. Le nageur
paraît encore plus favorisé que le cycliste : il est couché sur l'eau ! Mais
comme en aviron il utilise beaucoup les bras, sans parler des déperditions de
chaleur dans l’eau.
Il y a assis et
assis ! Sur une selle de vélo il y a les 2 positions extrêmes, assis
en cul de poule, le bassin basculé en arrière (lordose) ou basculé en avant ce
qui relève les cuisses. Au 100 mètres les coureurs à pied doivent d’abord
pousser à fond sur leurs jambes pour ensuite, une fois en pleine vitesse,
ramener le bassin vers l’avant pour lancer leurs jambes en avant comme chacun
peut le voir en regardant un 100 m à la télé. Quand Lance Armstrong se mettait
parfois debout sur les pédales, dans les cols, il adoptait cette
position : le corps restant droit il lançait les genoux vers l’avant. A
l’inverse Richard Virenque par exemple avait un mouvement latéral de grande
amplitude ce qui entraîne une déperdition importante d’énergie motrice.
Second secret : la jambe est libre !
Non seulement les jambes n’ont pas à
porter le poids du corps mais l’appui du pied sur la pédale avec la jambe
toujours au moins en légère flexion font que celle-ci est libre dans son
mouvement de rotation. Cela permet d’utiliser en partie le poids de la jambe
pour peser sur la pédale et c’est ce que plus ou moins consciemment les cyclistes
apprennent à faire en moulinant sur un petit développement au lieu d’arracher
en force de grands braquets comme font souvent les néophytes.
Au lieu d’appuyer pendant près d’un demi
tour de pédale, le cycliste apprend à relâcher un très bref instant la tension
sur sa jambe et à laisser une partie du poids de celle-ci sur la pédale. Ainsi
le cycliste se propulse par l’action de la pesanteur ! Même dans les
cols ! C’est le secret des petits développements. Pour réussir cela il
faut que les jambes tournent assez vite, ce qui demande de l’entraînement.
C’est ce que faisait Lance Armstrong qui
tournait à 120 tours minute dans les cols et pouvait bénéficier d’une action
plus importante de la pesanteur pour monter. Encore faut-il pouvoir tenir un
tel rythme de pédalage, ce qui demande aussi un effort cardiaque important.
Une poussée trop puissante sur les
pédales interdit pratiquement de pouvoir relâcher cette pression et de profiter
de la pesanteur. C’est ce qui se produit au démarrage. Pédaler en puissance ou
en rotation ? Telle est la question que Lance Armstrong avait relancé. Il
se dopait, il n’y a pas à en douter, mais peut-on objectivement réduire ce
coureur au seul dopage ?
Troisième secret : l’appui main libère la respiration
A part les jambes qui tournent, le reste
du corps du cycliste est pratiquement immobile à l’inverse du nageur et du
rameur qui, allongé ou assis, font de puissants et rapides mouvements avec les
bras, ce qui gêne considérablement la respiration. Que fait spontanément
l’asthmatique quand il est en crise ? Il s’appuie sur une table avec une
légère flexion avant du buste, un peu comme le cycliste sur son guidon. Ainsi
il atténue le poids des épaules sur la cage thoracique et facilite l’amplitude
de la respiration et ce dans les 3 axes qui correspondent aux 3 respirations de
base : basse, moyenne et haute, c’est à dire abdominale, thoracique et
sommitale.
On ne mesure pas à quel point le poids du
buste sur l’abdomen et celui des épaules sur les poumons gênent les mouvements
respiratoires. Or si l’énergie dont nous avons besoin vient pour une part de la
nourriture, l’autre vient de l’air que
nous respirons. Les cyclistes ont inventé le guidon courbe. Pourquoi ?
Avec les mains aux cocotes de frein les paumes sont verticales et non horizontales.
Ce détail apparent a en réalité beaucoup d’importance.
Chacun peut en prendre facilement
conscience en faisant la petite expérience suivante : placer les 2 bras en
avant, les mains posées sur une table, les paumes vers le bas, puis les faire pivoter
pour les placer verticales puis revenir à l’horizontale; essayer de
ressentir la libération ou au contraire le verrouillage respiratoire au niveau
des clavicules et des sommets pulmonaires. C’est encore plus net sur le vélo si
on rapproche les mains vers le centre du guidon. C’est si important que sur les
VTT au guidon droit pour raison de pilotage en terrain difficile on a la
possibilité d’ajouter des poignées dites cornes de vache. Elles permettent
d’avoir les poings en position verticale et donc d’effectuer une rotation
ouvrante au niveau des clavicules.
Le rameur qui doit tirer de toutes ses
forces sur la rame ne tient que quelques minutes dans les compétitions
d’aviron. Les images télé ne trompent pas, bien que très entraînés ils
terminent épuisés car ils sont très vite en respiration anaérobie alors que le
cycliste est pratiquement toujours en aérobie. Certes, d’autres rameurs
traversent l’Atlantique ou même le Pacifique à la rame mais ce n’est pas la
même cadence. La nage papillon qui sollicite beaucoup les bras n’est pratiquée
en compétition que sur de courtes distances. Pour le crawl, réussir à combiner
le mouvement des bras avec la respiration est la difficulté de tous les
débutants, y compris de Laurent Jalabert qui s’est mis avec succès au triathlon
en se classant récemment 21ième du triathlon de Zurich (3,6 km de
natation, 180 de vélo et un marathon pour finir). Il a commencé à apprendre le
crawl en novembre 2006 pour réussir cette belle performance en juin 2007 !
A la sortie du lac il était 930ième ! Mais après une heure de
vélo il avait doublé 722
concurrents !
La posture sur un vélo est unique,
exceptionnelle, et c’est elle qui, bien maîtrisée, permet à des hommes et des
femmes ordinaires de réussir des performances d’endurance qui laissent pantois
ceux qui ignorent tout du vélo et de ses secrets. Ces postures ont un tel
pouvoir d’économie et de régénération sur l’organisme humain qu’elles ont
engendré une débauche d’épreuves aussi invraisemblables comme Paris Brest Paris
sans étape ou les diagonales de la fédération de cyclotourisme comme Brest
Menton ou Hendaye Strasbourg à faire dans le minimum de temps en roulant la
nuit comme le jour…Et ceux qui s’y lancent sont souvent des gens très
ordinaires…
Compléments : les positions du cyclistes vues par la clinique du dos